Du côté du handicap mental, les foyers d’hébergement accueillent des adultes. Adrien est chef de service dans l’un de ces foyers. Nous l’avons rencontré au sujet du confinement et de la manière dont l’institution a pu s’organiser.
C’est une résidence de 35 personnes qui accueille 20 personnes qui ont une orientation foyer de vie qui, en temps normal, vont dans la journée en centre d’activité de jour où elles font des activités de type occupationnel mais aussi de développement culturel, de sport, d’activités physiques. Il y a aussi 15 personnes qui sont accueillies sur un foyer d’hébergement et qui travaillent en ESAT. Les personnes que l’on accompagne ici présentent toutes une déficience intellectuelle et pour la plupart d’entre elles des troubles psychiatriques associés.
D’abord il y a eu des directives en termes de distance de sécurité et puis après, il y a eu le confinement. Comment vous vous êtes organisés au niveau de l’institution ?
Les premières préconisations qu’on a vu apparaître, c’était tout début mars, portaient sur des règles d’hygiène qui sont globalement difficiles à faire appliquer à des personnes en situation de handicap. Notamment parce que la conscience de soi et de l’autre n’est pas forcément toujours très aiguisée et que, il y a certains moments où il y a une proximité nécessaire pour rassurer quelqu’un et le guider dans ses gestes. Il fallait prendre tous ces éléments-là en jeu pour que ce soit opérant et pour que les personnes vivent le mieux possible cette phase-là. Ça a été la première phase, plutôt de la sensibilisation, et on a été très insistants, parce que c’est là où on a le plus facilement accès à l’adhésion des personnes : sur le lavage des mains avant une activité, après une activité, on avait des échéances comme ça qui nous permettait de rythmer et de faire en sorte à peu près une fois par heure, les personnes puissent se laver les mains. Là où on était plus en difficultés, c’était par rapport à des éternuements, des toux, des personnes enrhumées, qui ne vont pas forcément avoir des réflexes d’hygiène comme tout un chacun et même pour certaines, pouvaient ne pas être bien conscientes du fait qu’elles étaient enrhumées ou du fait qu’elles éternuaient. Donc cela veut dire que peu importe le moment où l’éternuement arrive, ça explosait au milieu de 10 personnes comme cela pouvait exploser quand les personnes étaient toutes seules dans la cour.
Donc, voilà, ça c’était la première phase, sur la première semaine, on a surtout passé des messages de prévention aux personnes et on a demandé aux professionnels d’être les plus vigilants possible par rapport à ces règles-là. On n’a pas forcément distribué des masques ni de gants au-delà de ce qu’on peut utiliser dans les accompagnements du quotidien. On avait déjà, sur les différentes maisonnées, sur les différentes activités des solutions hydroalcooliques à disposition. On a vérifié que les choses étaient bien à disposition.
Là où les choses se sont un peu plus accélérées c’est à partir du 13 mars où là … j’avais dans la semaine, passé des coups de fils aux familles des personnes accompagnées pour leur signifier la démarche dans laquelle on était et les différentes préconisations de l’ARS notamment. A partir du 13 mars, je les ai rappelées pour leur dire : le confinement arrive, c’est le moment pour qu’on puisse parler d’un éventuel accueil, si vous le souhaitez, de votre enfant chez vous (votre enfant qui est un adulte mais qui reste rattaché à sa famille en partie selon les situations). A la suite de ce coup de fil, sur les 20 personnes accompagnées, il y a 12 personnes qui sont rentrées chez leurs parents ou chez leurs proches de manière prolongée. Au départ, on s’est dit au moins pour 3 semaines. Il y a eu à nouveau des contacts cette semaine pour leur dire que cela allait être plus long. Le 16 mars, il y a eu deux autres personnes qui sont parties. Le 17 une dernière. Et donc on arrive aujourd’hui avec un effectif de 5 personnes présentes sur le foyer de vie pour une durée indéterminée. Sur le foyer d’hébergement, on a appliqué la même logique mais là les proches des personnes accueillies sont plus âgées donc moins disponibles pour certains d’entre eux et donc sur le foyer d’hébergement nous accueillons 8 personnes sur les 15.
En parallèle de ça, à partir du 16 mars pour le centre d’activité de jour et à partir du 17 mars pour l’ESAT qui est à proximité du foyer d’hébergement, il y a eu une rupture dans l’activité : fermeture des structures. Les personnes sont confinées à leur domicile à partir de ce moment-là.
Comment se passe le confinement ?
On a une enceinte qui est assez grande, avec des espaces verts. On est en périphérie d’un centre bourg. Dans le centre bourg, il y a tous les services de proximité qui restent ouverts en situation de crise. Par contre, on est évidemment vigilants aux déplacements des personnes qu’on accompagne en particulier les plus fragiles. Au sein de la résidence, les déplacements ne sont pas interdits, on essaye de restreindre les contacts rapprochés prolongés mais on ne demande pas à chacun de déjeuner dans sa chambre, on ne demande pas aux personnes de garder la chambre s’il n’y a pas de symptôme de maladie. On reste aussi en contact avec les infirmiers libéraux de secteur qui interviennent à la résidence pour des soins particuliers et qui eux, peuvent nous apporter des préconisations. On demande aux personnes d’être vigilantes quand elles vont dans le centre bourg, notamment en prenant les papiers de circulation et en se déplaçant uniquement si elles ont un achat fondamental à faire. Ces personnes doivent porter un masque et des gants. Se déplacent dans le centre bourg uniquement les personnes qui ont l’autonomie pour le faire. C’est-à-dire que les déplacements en groupe que l’on pouvait faire précédemment avec des personnes moins autonomes ne se font plus.
On parle beaucoup actuellement de nouvelles solidarités par rapport à la situation anxiogène actuelle, est-ce que tu l’observes sur le terrain ?
Ce qui est sûr, c’est que les professionnels cherchent des solutions pour des personnes qui n’ont pas accès aux nouvelles technologies par exemple. On a peu de personnes qui ont des smartphones ou qui ont accès à des systèmes de vidéo-conférence. Donc on a pu mettre ça en place sur la résidence. On a pu avoir des professionnels qui ont été chercher auprès de leurs proches des légumes, ou ce genre de chose pour venir approvisionner la résidence à des moments où on pouvait douter que la supérette du village puisse nous approvisionner. C’est très ponctuel mais cela s’est fait assez simplement. Et puis, on peut manquer un peu de matériel pour certains bricolages, on ne peut pas racheter ces choses-là dans les magasins donc il y a certains professionnels qui vont ramener du matériel de chez eux. Les compétences des uns ou des autres (couture, jardinage, musique), sont mis à contribution.
Les usagers, quel est leur compréhension de ce qui se joue : développement de la pandémie, règles de sécurité, risques … ?
Est-ce qu’il y a une seule réponse à apporter ? J’accueille 13 personnes en ce moment, je pourrai donner 13 réponses. Cela dépend beaucoup de la disponibilité psychique de la personne. Là, il y a une personne que l’on accompagne qui est plus inquiète de ne pas pouvoir voir sa mère que par l’épidémie. L’intérêt de se laver les mains, d’éternuer dans sa manche, de se moucher avec un mouchoir à usage unique, je ne pense pas qu’elle y ait vraiment accès. A côté de ça, il y a d’autres personnes qui vont être plus sensibles à ce qui va se dire sur les médias, notamment les chaines d’information continue et qui vont présenter des angoisses importantes parce que, comme tout un chacun, en regardant 5 ou 6 heures d’information, on devient un peu angoissé et ces personnes-là peuvent se dire que la pandémie va tuer tout le monde. Il peut y avoir de vraies angoisses qui se développent et des comportements qui viennent en conséquence avec des gens qui cherchent à se réassurer sans cesse auprès de l’encadrant en disant ; « tu vois, je me suis bien lavé les mains, tu as vu, je fais bien attention, je ne me rapproche pas trop des autres ». Ce sont des personnes qui vont avoir des discours de réassurance pour mieux vivre cette crise-là.
Est-ce qu’il y a des usagers qui montrent des ressources nouvelles ?
Je ne sais pas si c’est une ressource, mais pour certains, ils ne prenaient pas du tout la mesure de la gravité de ce qui se passe et donc ça leur permettait d’être assez libérés. Par contre, le retrait de certains éléments repères du quotidien comme le fait d’aller au travail, le fait d’aller au centre d’activité de jour tous les matins et de commencer sa journée par tel type d’activité … le fait de venir bouleverser ça a pu en perturber certains. C’est par ce biais-là qu’ils se sont rendus compte des modifications. Parce que la routine, au sens noble du terme, au sens de ce qui rassure, était perturbée.
Après, en termes de ressources, j’ai plutôt eu l’impression d’accompagner des personnes qui, une fois qu’elles se sont rendues compte de la privation de liberté qui était la leur, se sont mise en colère. Au moins une colère où ils disaient « pourquoi vous nous empêchez de partir ? », « on n’est pas en prison, qu’est-ce que c’est que ce bazar » … Il fallait réexpliquer à chaque fois les enjeux.
Ce sont des enjeux qu’ils ont compris maintenant ?
Cela dépend des gens. Il y a quelques personnes qui se sont résignées sur la situation, d’autres qui peuvent dire « il n’y a pas de raisons de faire comme ça », d’autres qui sont en colère parce que leurs amis sont partis en famille et qu’eux sont restés à la résidence.
Pour l’instant, il y a encore de l’incompréhension. Par exemple, l’ESAT : avant de fermer mardi de la semaine dernière, il leur a été dit à ce moment-là qu’il fermait pour « au moins 15 jours », toutes les personnes du foyer avaient bien entendu le « 15 jours » mais personne n’avait entendu le « au moins » parce que pour eux c’est tellement constitutif du quotidien, d’aller au travail, c’est tellement une valeur forte que de devoir rester à la maison sans être malade, sans avoir de motif réel de s’absenter est insupportable. Il a fallu que le directeur de l’ESAT repasse à la résidence pour annoncer officiellement que lundi prochain ils n’iraient pas au travail.
Et puis, il y a aussi certaines personnes qui ont demandé que leurs outils de travail puissent venir jusqu’à la résidence alors voilà : dans les garages j’ai des tondeuses, des débrousailleuses, des taille-haies pour que les travailleurs en espace verts de l’ESAT et qui sont en foyers d’hébergement puissent entretenir la résidence le temps du confinement. Cela leur fait du bien à eux, ça favorise un sentiment d’utilité qui est important.
C’est intéressant.
On avait laissé au repos un petit potager on l’a réhabilité puis on en a créé un autre. Donc, chacun avec ses compétences, ses connaissances … on s’y met. En fin de semaine dernière, on n’était pas approvisionnés en masques, on a proposé à certains résidents de pouvoir faire des masques en tissus. Ce sont aussi des supports d’échanges, ça permet de redire aussi certaines règles mais en passant par d’autres biais, c’est toujours bien.
La situation actuelle favorise-telle la participation des usagers ?
Dans certains domaines probablement que ça favorise. Le fait d’avoir une capacité d’encadrer importante face à peu de personnes accompagnées, on est en relatif sureffectif, cela permet de créer une autre relation et permet une mobilisation un peu différente des capacités des personnes.
Après, je relie toujours la capacité d’une personne à son état psychique et c’est plutôt la crainte qu’on peut avoir par rapport à la situation : l’enfermement peut engendrer une forme de déprime, quelque chose qui pour le moment est passager mais pourrait s’installer et qui vient vraiment impacter l’autonomie des gens. Quelqu’un qui est en pleine forme et en pleine capacité face à ce qui lui arrive au quotidien va pouvoir révéler plus d’autonomie que quelqu’un qui est déprimé. Là, c’est plutôt mon appréhension.
Article tiré de la revue VST des Ceméa