Journal du 12 au 14 mars 2020

Le jeudi de cette semaine d’AGIR, nous accueillions les stagiaires DEJEPS pour pratiquer avec eux/elles un temps d’activité de 3 heures. C’était aussi le jour des 30 ans de mon ami et collègue Damien. En arrivant dans le jardin du 102, et au lieu de le prendre dans mes bras comme je l’aurais fait dans un autre contexte, je lui fais un tout petit bisou sur la joue…

La journée avançait, j’apprenais à des stagiaires à utiliser la machine à coudre. Comme les jours précédents, pratiquer nous distrayait, nous occupait, nous projetait ailleurs. Pour autant, je savais qu’Emmanuel Macron donnerait une allocution le soir. Dans la lignée de nos voisin-es italien-nes, chacun-e se doutait des mesures qui suivraient.

L’après-midi s’est étirée. Les stagiaires satisfaits ont, au compte-goutte, quitté les espaces d’activité. L’inquiétude s’est fait sentir… de nouveau.

En soirée, il faisait frais mais assez beau, avec les collègues et copains-copines nous attendions ensemble en buvant une bière. A 20h, nous avons branché des enceintes pour écouter l’allocution de Macron. Du jamais vu aux CEMEA.

Les mesures prises de fermetures des écoles, collèges, lycée et universités ne m’ont pas surprise. Je les ai trouvées nécessaires.

Mais… que dire des propos qui suivent ?

Le « Je tiens à exprimer ce soir la reconnaissance de la nation pour ces hommes et ces femmes admirables qui ont comme boussole le soin, notre bien-être, notre vie tout simplement »,

Le « Placer l’intérêt collectif au-dessus de tout, par des valeurs humaines de solidarité, de fraternité »,

Le « Nous prendrons des mesures fortes pour augmenter nos capacités d’accueil à l’hôpital »,

Le « L’urgence est de protéger nos compatriotes les plus vulnérables, c’est la priorité absolue »,

Le « Je pense aux médecins, aux infirmières… je sais pouvoir compter sur vous… le respect que nous avons envers vous »,

Le «  Ce que révèle cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans conditions de revenus ou de professions, notre État-providence, ne sont pas des coûts, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe… c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placé en dehors du marché »

Toutes ces phrases, tous ces propos tenus par Macron ont ranimé en moi des souvenirs de mon passé d’infirmière, de luttes, de vécus douloureux du démantèlement de la fonction publique hospitalière.

Le discours m’a sonnée, abasourdie, mise dans une colère froide. Des mots de colère tournaient dans ma tête « Tu te fous pas un peu de la gueule des soignant-es ! Depuis 2007 et la tarification à l’acte, les gouvernements successifs n’ont fait que fragiliser l’hôpital, produire un système de santé à plusieurs vitesses. Et toi là, tu viens mettre sur un pied d’estale la gratuité des soins et remercier, honorer le personnel soignant». A un moment la colère a débordé, j’ai regardé les personnes avec qui j’étais et ai  crié « y’s’fout vraiment de notre gueule-là ».

Ma colère était accompagnée de souvenirs de souffrances au travail vécues en tant qu’infirmière. La peur de devoir y retourner m’a envahie par surprise.

Mes collègues et copains-copines ont été d’un soutien que je ne suis pas prête d’oublier. Des regards, des mots rassurants, de la solidarité…

J’étais aussi animé du sentiment de vivre un moment de la grande histoire. Savoir que jamais je n’oublierai ce moment-là

Ce jeudi soir, je suis quand même aller retrouver la chorale où je chante de manière hebdomadaire. Je me sentais hors du temps. La chorale ne m’a pas détendue. On était tous et toutes un peu à côté.

L’étau était à ce moment-là dans ma poitrine. L’angoisse m’a tenue toute la nuit.

Suite à une presque nuit blanche je suis arrivée le vendredi au 102… le cœur au bord des yeux.

Marie, Clem et Damien étaient dans le bureau. J’ai explosé dans un mélange de colère, de peur et de tristesse et me suis mise à pleurer. Ils m’ont récupérée. Clope, café au soleil. Leurs mots m’ont fait du bien.

J’ai passé mon après-midi d’AGIR à broder. Piquer l’aiguille, tirer le fil, changer de couleur, admirer l’ouvrage terminé. Décidément, cette semaine d’AGIR tombait à pic.

Le week-end était prévu le regroupement animation de mars. Nous avions préparé, nous avons maintenu.

Au départ, nous dévions être une petite quarantaine à se réunir. Le samedi matin, nous n’étions qu’une vingtaine. Des entrées de réflexion ont tout de même été annulées.

Nous avons, vaille que vaille, réussi à animer les différents temps. Le temps de formation autour de chants en canon ou à plusieurs voix m’a fait, nous a fait un bien immense. Chanter est formidable pour se détendre.

Ce samedi dans la journée, nous avons aussi décidé d’annuler les formations BAFD qui devaient débuter le lundi.

Le samedi soir avait lieu l’ouverture du printemps du 102, temps fort de l’année pour les CEMEA. A la fin du spectacle « Grève » de la compagnie HOBOES, nous nous sommes retrouvé-es dans le jardin du 102. C’est alors que nous avons appris le passage en stade 3. La logique de détection et de prise en charge individuelle allait donc passer à une logique d’action collective. Une suite logique finalement. On sentait tous et toutes que le confinement allait être l’étape suivante.

D’habitude à la suite d’un spectacle aussi engagé que celui que nous venions de regarder et écouter, nous refaisons le monde. Ce soir-là toutes les phrases que j’ai entendues commençaient par coronavirus, confinement, télétravail, fermeture des commerces… Et cette impression de vivre un mauvais épisode de Black Mirror où d’être l’héroïne d’un roman d’anticipation.

L’inquiétude a grandi quant aux CEMEA, sur les pertes financières liées à l’annulation de quai l’ensemble de nos formations et actions (exception faite de la formation professionnelle qui peut s’organiser en formation à distance).

… Et puis, on a commencé à rêver, à se projeter dans d’autres actions d’éducation populaire version 2.0. « On pourrait écrire des témoignages, faire de la radio, apprendre des chants ensemble mais à distance… ».

Nous avons décidé de maintenir la journée du dimanche.