Du dimanche 15 au lundi 16 mars 2020
Le dimanche 15 mars, nous avions donc dĂ©cidĂ© de maintenir le 2Ăšme jour du regroupement animation et nous retrouver pour continuer ce que nous avions entrepris la veille. Jâai quittĂ© le Loroux sous le soleil en savourant chacun des paysages traversĂ©s et en prĂ©sumant que la semaine prochaine, je ne pourrai que rarement sortir de chez moi.
En arrivant sur Nantes, jâai trouvĂ© lâambiance Ă©trange. Les rues de Nantes Ă©taient si dĂ©sertes. Ătait-ce le simple phĂ©nomĂšne dominical ? Il faut dire que je vais rarement un dimanche matin Ă Nantes. Je me rassurais un peu en me rĂ©pĂ©tant cette phrase « câest dimanche, câest normal ». La personne ĂągĂ©e croisĂ©e et portant un masque, les gens sâĂ©cartant de moi sans mĂȘme mâadresser un regard ou un bonjour, les saluts adressĂ©s Ă mes collĂšgues avec des coups de coudes mâont ramenĂ©e Ă la rĂ©alitĂ©. « Oui câest dimanche mais non, tout ceci nâest pas habituel. » Tout semblait aller vite. Les situations inĂ©dites commençaient Ă sâaccumuler.
Cette 2Ăšme journĂ©e nous a tout de mĂȘme permis de rĂ©flĂ©chir zĂ©tĂ©tique, de rĂ©flĂ©chir de maniĂšre pĂ©dagogiques les tĂąches matĂ©rielles avec les stagiaires BAFA/BAFD, de bidouiller et tambouiller mais aussi de refaire des malles et des fiches de pratique dâactivitĂ©s pour les prochains stages.
Pour ma part, jâai surtout pris du plaisir Ă chanter. Renouveler mon rĂ©pertoire et parfaire ma pratique dâactivitĂ© chants en stage est passĂ© en second plan. En premier plan, il y avait chanter pour un plaisir collectif⊠à lâunisson.
Au court de la journĂ©e, jâai appris que le lendemain une rĂ©union de gestion de crise avait Ă©tĂ© programmĂ©e aux CEMEA. Jâai aussi appris que Macron parlerait en une 2Ăšme allocution le lundi soir. La journĂ©e du lendemain sâannonçait dense.
Le dimanche sâest achevĂ© par le rangement des salles et de tout le matĂ©riel utilisĂ© depuis le lundi mais aussi par le mĂ©nage de chacun des espaces.
Au moment de partir, jâai rassemblĂ© mes affaires. Marie, Damien et Emma Ă©taient encore dans les locaux. En attrapant mon sac Ă dos, je me suis rendue compte que je nâavais pas mon tĂ©lĂ©phone portable. Jâai dâabord cherchĂ© seule puis avec les copains-copines. Rien. Nada. Nothing⊠impossible de le retrouver. Un sentiment de lassitude mâa envahie. Il faut dire que comme beaucoup, jâai un rapport Ă mon tĂ©lĂ©phone⊠comment dire⊠assez fusionnel (le Assez est sans doute de trop). Dans lâĂ©ventualitĂ© du confinement et du tĂ©lĂ©travail, je me suis sentie assez en panique (le Assez est sans doute encore de trop).
Ce dimanche soir, je suis donc rentrée à la maison épuisée et sans mon téléphone portable.
En arrivant dans mon home sweet home, lâambiance Ă©tait Ă©lectrique. Jeanne (ma fille de 17 ans lycĂ©enne en terminale) Ă©tait dans un Ă©tat de morositĂ© avancĂ©. « Vous vous rendez compte, le lycĂ©e est fermĂ© pour 15 jours, mes copains vont me manquer et en plus vous (elle nommait par ce Vous mon compagnon Philippe et moi mĂȘme) vous allez bosser. Et en plus, on va faire comment pour le bac…». AmaĂ«l (mon fils de 20 ans Ă©tudiant Ă Tours) Ă©tait lui ravi que la situation le lĂ©gitime Ă ne rien faire pendant sans doute plusieurs semaines. Philippe quant Ă lui ne disait rien mais son agitation Ă©tait visible. Au moment oĂč il a commencĂ© Ă rĂąler aprĂšs les enfants qui nâavaient pas aidĂ© Ă faire la cuisine, ça a dĂ©rapĂ©. On a tous et toutes commencĂ© Ă sâengueuler. 3 minutes de nâimporte quoi jusquâĂ ce que Selma (sĆur jumelle de Jeanne) dise « Eh, on pourrait peut-ĂȘtre se parler non ? ». On sâest posĂ© alors pour dire nos prĂ©occupations, pour sâorganiser. Ouf ! Merci Selma.
Le lundi, je suis partie aux CEMEA dans un Ă©tat de flou artistique. Des dossiers Ă traiter sur la derniĂšre pĂ©riode de stage BAFA/BAFD. Des choses Ă faire pour lâĂ©ventuel pĂ©riode de stages dâavril. Le flou sur la pĂ©riode Ă venir me donnait lâimpression dâĂȘtre en suspend, de dĂ©buter une aventure dans une faille spacio-temporelle. LâarrivĂ©e rue Saint Jacques nâa fait que conforter ce sentiment. Trafic fluide. Le choix dans les places de parking. Seulement 4 personnes croisĂ©es. Une rue inanimĂ©e et toutes devantures fermĂ©es Ă lâexception de la pharmacie dont lâenseigne au loin clignotait.
Jâai eu du mal Ă travailler. La mise au travail, la projection est difficile pour moi si je ne sais pas oĂč je vais. Jâai donc continuĂ© Ă chercher mon portable⊠en vain, puis ai clos des dossiers mais nâai pu en commencer aucun.
Le midi, toute lâĂ©quipe des CEMEA sâest rĂ©unie pour manger ensemble. Deux personnes ont servi les assiettes avec des gants. Chacun avait son verre avec son prĂ©nom Ă©crit dessus. Des flacons de gel hydro-alcoolique ornaient nos tables. LĂ encore, câĂ©tait inĂ©dit au CEMEA.
Lors de notre rĂ©union de crise, nous avons discutĂ© de lâimpact financier de lâannulation de la plupart de nos actions et formations, des reports possibles de certains paiements, des mesures salariales quant au chĂŽmage partiel ou la garde dâenfants, des espaces de solidaritĂ©s possibles et des projets envisageables sur les semaines Ă venir et ce, tout en ne connaissant pas formellement les prochaines mesures qui pouvaient ĂȘtre prises.
Je mesurais aussi que dans chacune des associations, chacune des entreprises, chacune des organisations de travail de France, des réunions de la sorte devaient avoir lieu.
A la fin de cette réunion, les collÚgues partaient les un-es à la suite des autres. On se disait au revoir sans connaßtre la date à laquelle nous nous reverrions.
CâĂ©tait un moment si Ă©trange, stressant aussi.
Clem mâa alors proposĂ© dâaller chanter dans le jardin. « Une rue des lilas » et un « Archer du Roy » aprĂšs, je me sentais moins tendue.
Pour anticiper sur les Ă©ventuelles mesures de confinement et de tĂ©lĂ©travail, un collĂšgue nous a ensuite formĂ©-es sur les outils de vidĂ©oconfĂ©rences, de tchat, dâespace de partage de documents. On a ri⊠un peu.
Lâallocution de Macron Ă©tait programmĂ©e Ă 20h. Je nâarrivais pas Ă partir. A 19h, jâai pris la dĂ©cision dâĂ©couter lâallocution avec les collĂšgues toujours prĂ©sent-es dans le jardin. Deux fois en une semaine. Incroyable !!
On a allumé les enceintes et écouté.
AprÚs avoir ordonné jeudi dernier la fermeture de tous les établissements scolaires, puis celle des restaurants, bars et discothÚques, nous entendons Macron ordonner le renforcement des mesures de restriction des déplacements :
« DÚs demain midi et pour 15 jours au moins, nos déplacements seront trÚs fortement réduits »
« Toute infraction à ces rÚgles sera sanctionnée »
« Les réunions amicales, familiales, les déplacements dans les parcs ne seront plus autorisés »
« Les activités sportives sont autorisées mais à condition de respecter les rÚgles de distanciation sociale. »
« Toutes les entreprises sont appelées à faciliter ou mettre en place du télétravail »
« Toute notre énergie, toute notre force doit se concentrer sur un seul objectif: ralentir la progression du virus »
A aucun moment du discours, Macron nâa prononcĂ© le mot confinement. En revanche Ă 5 reprises, il dira « Nous sommes en guerre !».
Nous avons entendu ce que nous savions presque dĂ©jĂ . Je nâarrivais toujours pas Ă partir. On a bu des biĂšres, chantĂ© Ă nouveau. Je pense avoir dit « Bon jây vais » au moins 5 ou 6 fois avant de vraiment me lever et partir. Jâai rĂ©cupĂ©rĂ© de la bouffe et du tissu pour coudre avec Selma, lancĂ© un « Ă bientĂŽt, prenez soin de vous » et ai filĂ© sans me retourner. Sur le chemin du retour, la faille spacio-temporelle mâa rattrapĂ©e. Quand pourrais-je retourner dans les locaux des CEMEA ? Quand pourrais-je retourner sur Nantes ? Quand les prochains stages pourront avoir lieu ? Quand ? Quand ? Quand ? Et dans quelles circonstances ?
En arrivant au Loroux, jâai garĂ© ma voiture, ai ouvert la porte. Philippe, AmaĂ«l, Jeanne et Selma mâattendaient. Le dĂ©but du confinement Ă 5 dĂ©butait.
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