Les Français et la plupart du monde vivent aujourdâhui sous confinement en raison du Coronavirus. Je vis cela en France en ce moment. Cela me fait Ă©cho, mĂȘme si câest de maniĂšre diffĂ©rente, Ă certaines choses que jâai vĂ©cues en Palestine sous occupation lorsque que lâarmĂ©e israĂ©lienne avait imposĂ©e le couvre-feu sur les territoires palestiniens.
La premiĂšre fois quand j’Ă©tais encore un enfant ĂągĂ© de onze ans, je ne comprenais pas ce que cela signifiait parce que jâĂ©tais en train de jouer avec mes amis Ă cĂŽtĂ© de ma maison. En France, lâannonce a Ă©tĂ© faite Ă la tĂ©lĂ©vision de maniĂšre solennelle, alors quâĂ ce moment lâannonce a Ă©tĂ© bien plus brutale. Les Jeeps de lâarmĂ©e israĂ©lienne sont entrĂ©es dans le camp en annonçant le couvre-feu avec leur haut-parleur et pour ĂȘtre bien sĂ»r de la rĂ©ception du message, des tirs de gaz, des bombes de dĂ©sencerclement et des coups de feu. JâĂ©tais en colĂšre Ă lâĂ©poque car jâavais envie de jouer avec mes amis dehors mais câest en voyant la terreur et la peur dans les yeux de ma mĂšre que jâai compris quâil y avait un problĂšme. Jâai compris dans le regard des adultes que ce nâĂ©tait pas un jeu. Jâai senti le danger pour notre vie.
La deuxiĂšme fois, câĂ©tait au printemps 2002. CâĂ©tait beaucoup plus brutal car cette fois-ci, la Cisjordanie a Ă©tĂ© envahie et le confinement a Ă©tĂ© imposĂ© pendant 24 jours et lĂ , ça ressemblait plus Ă une guerre. Cela a commencĂ© dans la nuit avec des bombes et des tirs, accompagnĂ©s de coupures de lâeau et de lâĂ©lectricitĂ©. Cette fois-ci, ce nâĂ©tait pas des Jeeps mais des tanks et des bombes. Toute la nuit, jâĂ©tais avec ma famille mis Ă part mon pĂšre dont on avait plus de nouvelle. On sâest installĂ© tous dans le salon car il y avait moins de fenĂȘtres et on attendait le matin pour que ça passe. Malheureusement, ce nâest pas passĂ©. La nuit de terreur sâest prolongĂ©e au petit jour puis pendant 24 jours durant. A chaque tir quâon sentait proche de nous, nous avions terriblement peur. Ma mĂšre seule avec nous Ă©tait merveilleusement forte. Je sais quâelle avait peur, mais elle rĂ©ussissait Ă nous rassurer, Ă nous conforter et nous apporter un peu de tendresse malgrĂ© les circonstances.
Quelques jours aprÚs, des voisins se sont réfugiés chez nous car leur maison était trop exposée aux tirs. Cette forme de solidarité est naturelle pour nous et plus généralement en Palestine face à la situation.
Ă cause de la coupure d’Ă©lectricitĂ©, le stock dans le rĂ©frigĂ©rateur a commencĂ© petit Ă petit Ă s’Ă©puiser, car nous avions prĂ©parĂ© tout ce qui Ă©tait congelĂ© au dĂ©but. CâĂ©tait lâodeur du pain que ma mĂšre prĂ©parait tous les matins qui mâannonçait la nouvelle journĂ©e sous le siĂšge car on ne pouvait pas regarder dehors ni voir la lumiĂšre du jour, nous Ă©tions barricadĂ©s chez nous et cela pendant 2 semaines.
Ce nâĂ©tait pas, pour autant, terminĂ©. Nous ne savions rien de ce qui se passait Ă l’extĂ©rieur jusqu’Ă ce que l’occupation dĂ©cide de nous donner deux heures de libertĂ©. Ce fut le choc quand je suis sorti et que jâai vu que tout mon environnement, mon lieu de vie Ă©tait dĂ©truit. Je pouvais entendre les voix de ceux qui pleuraient leurs morts. Certains couraient pour obtenir de la nourriture pour leur famille, et comme j’Ă©tais aussi l’aĂźnĂ©, il fallait que je sois un homme et que jâaille acheter de quoi ma famille avait besoin. Il ne restait pas grand-chose dans les magasins. Au milieu de toutes ces grandes personnes, jâĂ©tais fier dâavoir pu quand mĂȘme revenir avec des petites boites de conserves pour survivre les prochains jours. En rentrant Ă la maison, mon pĂšre avait rĂ©ussi Ă nous retrouver. Nous Ă©tions tellement heureux de le revoir et je pouvais enfin redevenir un peu plus un enfant.
AprÚs les deux heures, nous avons entendu les bruits de chars qui recommençaient au loin. Nous sommes retournés vite dans nos maisons pour recommencer une nouvelle étape de confinement qui avait duré encore au moins une semaine.
Ce nâĂ©tait pas la derniĂšre fois que nous avons vĂ©cu cette situation. Malheureusement câest arrivĂ© souvent et ce nâĂ©tait pas un confinement comme nous vivons aujourdâhui oĂč lâon a le droit de sortir pour faire son sport et pour aller faire les courses.
Ce que vit le monde aujourdâhui Ă cause du coronavirus est un aperçu de ce que les Palestiniens ont vĂ©cu pendant des annĂ©es Ă cause de lâoccupation.
Demain, ce virus ira comme la peste, la rougeole et la grippe espagnole, ce sera un jour radieux et la vie reviendra Ă ce qu’elle Ă©tait.
Mohammed Asmar, 18 mars 2020
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