L’essai Chinois et sa publication. Le 18 février, une équipe chinoise publie dans la revue scientifique BioScience Trends l’annonce de résultats au delà de l’effet placebo dans le traitement du COVID-19 par la chloroquine (1), un antipaludique bien connu. Aussitôt, une série de réserves sont avancées dans le reste de la communauté scientifique : la revue est qualifiée de plutôt marginale, la publication n’est qu’un communiqué qui ne donne pas assez d’éléments quant au détail du protocole et des résultats, et la chloroquine a déjà été avancée pour traiter le SRAS, le MERS (d’autres épidémies dûes à des coronavirus) sans succès. Les scientifiques cherchent à relativiser l’effet « remède miracle ».

L’essai de IHU de Marseille. L’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditéranée Infection, via le Pr Didier Raoult fait la demande, suite aux publications chinoises, de mener une étude clinique. Il obtient l’autorisation . Il propose d’appliquer le traitement suivant sur 24 patients volontaires : hydroxychloroquine associé pour certain.es patient.es à un antibiotique : l’Azithromycine. La chloroquine est un antipaludique, produit depuis plus de 70 ans. L’hydroxychloroquine en est un dérivé inventé par le laboratoire du Pr Raoult, c’est également un antipaludique, qui a quelques autres applications, notamment antivirales. Il s’appuie sur le fait qu’on peut mesurer la contagiosité d’un malade en fonction de sa charge virale, c’est à dire la quantité de réplique du virus présent dans son organisme. Il avance également que l’ensemble des mort.es de l’épidémie sont encore porteur.euses du virus lorsqu’illes meurts. L’enjeu serait donc de faire diminuer la charge virale pour guérir les patients. C’est donc l’indicateur qu’il retient pour mesurer la réussite du traitement. Il associe dans certains cas à l’hydroxychloroquine un antibiotique : il défend qu’une infection virale n’est pas forcément seulement virale, et qu’on observe notamment dans les maladies pulmonaires virale des pneumopathie liées à une infection bactérienne, contre laquelle luttera l’antibiotique. Les résultats sont comparés aux charges virales de patients COVID-19 des hopitaux de Nice et d’Avignon, qui ne suivent pas ce protocole de traitement. Il pré-publie les résultats de l’essai clinique le 16 mars via une vidéo sur la plateforme youtube. On peut trouver cette vidéo ici :

https://invidio.us/watch?v=n4J8kydOvbc

Qui est le professeur Didier Raoult ? C’est un infectiologue de renommée internationale. Il dirige l’IHU Méditéranée Infection à Marseille, et fait partie des personnes qui publient le plus en infectiologie et micro-biologie au monde. il est classé parmis les dix chercheurs les plus cités au monde selon les revues Science et Nature. Il faisait partie du conseil scientifique qui conseille le gouvernement pendant l’épidémie de SARS CoV-2, jusqu’au 14 Mars (2). Il est également connu pour un certains nombres de positions à l’encontre du consensus scientifique.

Les arguments qu’il avance en faveur du traitement. Ce traitement est peu cher à produire, et déjà disponible en stock importants. Il est également bien connu, ce qui limite les risques liés à l’usage d’un nouveau médicaments en terme de contre-indications et d’effets indésirables inconnus. Les résultats sont annoncés comme prometteurs : La longueur de la charge virale (c’est à dire la durée pendant laquelle les patients sont contagieux) est en moyenne de 20 jours (en l’état actuelle des connaissances). Au bout de 6 jours, les patients n’ayant pas reçus de Plaquenil (nom sous lequel l’hydroxychloroquine est commercialisée) sont à 90% encore porteurs de charge virale. Pour les patients traités, seuls 25% sont encore porteur de charge virale dans la même durée. Il annonce des résultats encore plus impressionants pour les patient.es traité.es en parallèle avec un antibiotique.

Les critiques qui lui sont faites. Elles portent d’abord sur la méthode de publication. Le Pr Raoult annonce les résultats sans beaucoup de nuances, via une vidéo youtube. Habituellement, le processus de publication est le suivant : on propose les résultats de l’essai à un journal scientifique à comité de lecture, pour une relecture par des pairs, c’est à dire d’autres scientifiques qui travaillent dans le même domaine. Quelques semaines voire mois plus tard, une publication a lieu ou non dans cette revue. En parallèle, les résultats peuvent être pré-publiés sur des plateformes de prépublications, qui visent à une relecture plus large et à encourager la réplication plus rapide des expériences pour appuyer ou invalider les hypothèses. L’utilisation de ce canal se justifie notamment dans des moments d’urgence. La publication sur un canal large comme youtube, suivi d’une annonce spectaculaire dans différents médias d’un traitement efficace contre le coronavirus est très critiquée en cela que le niveau de preuve, de solidité des résultats est encore insuffisant pour faire une telle annonce.

D’autre part, le protocole d’essai clinique n’a pas été fait en double aveugle, ni même en aveugle : les patient.es traité.es à Marseille savaient qu’illes recevaient un traitement expérimental, les autres savaient qu’illes n’en recevaient pas. Les soignant.es savaient s’illes adiministraient ou non le traitement. Ainsi, on ne mesure pas l’écart à un effet placebo, ni la part de « charge intentionnelle » des soignants.

La taille de l’échantillon (24 patients, recevant deux versions différentes du traitement) ne semble pas autoriser une tel triomphalisme dans l’annonce d’un « remède » contre le coronavirus.

Les résultats n’étant pas publiés en détail, on ne sait pas pour l’instant quel était l’état des différents patient.es avant traitement : malades depuis combien de temps, en état sévère, grave ou en rémission, etc…

Enfin, le Pr Raoult a été critiqué pour d’autres positions par le passé. Il avance notamment qu’il n’y a pas réellement de problème liées aux bactéries multirésistantes dans les traitements aux antibiotiques (3), et, en dehors de son champ de recherche, il a plusieurs fois dit douter de la réalité du réchauffement climatique. Par exemple, dans « Le Point » où il a une chronique il déclarait en juin 2014 :  » le réchauffement climatique est incertain et la responsabilité de l’homme discutable » (4). Si ces précédentes positions à rebours du reste de la communauté scientifique ne mettent pas en cause ses travaux actuels en tant que tel, cela peut jouer dans la réception qui est faite à ses annonces spectaculaires.

La conséquence d’une telle annonce est que les pharmacies ont vu leurs stock de Plaquenil fondre comme neige au soleil. Si le traitement est bien connu de spécialistes, il demande tout de même un suivi médical pour son administration : mal dosé, il est létal. On peut donc craindre les risques d’une automédication.

La suite. Ces résultats vont faire l’objet de tentatives de reproductions dans différents hopitaux, en France, en Chine, et ailleurs. « En Chine, près d’une vingtaine d’essais cliniques sont en cours pour explorer l’efficacité de cette molécule ou d’un analogue, l’hydroxychloroquine (Plaquenil), » (5). Ces tentatives, faites par des équipes indépendantes de celle de Didier Raoult, et pour certaines utilisant un protocole adapté pour isoler l’effet placebo, devraient rapidement confirmer, nuancer ou infirmer les résultats de l’IHU de Marseille.

En complément,on peut écouter Nicolas Martin, journaliste à la Méthode Scientifique sur France Culture, qui en fait une très bonne brève de 5min https://www.franceculture.fr/emissi…

Sources complémentaires :
(1) La publication chinoise : https://www.jstage.jst.go.jp/articl…
(2) Didier Raoult est présent jusqu’au 14 mars au conseil scientifique https://solidarites-sante.gouv.fr/a…
(3) Les positions du Dr Raoult sur les bactéries multirésistantes : https://www.mediterranee-infection…. et https://www.youtube.com/watch?v=KSC…
(4) Sur la question du réchauffement climatique https://fr.wikipedia.org/wiki/Didie…
(5) 20 essais en cours en chine https://www.lemonde.fr/sciences/art…