La pandĂ©mie pourrait avoir raison des colonies de vacances, dĂ©jĂ menacĂ©es par la marchandisation rampante des loisirs des enfants. C’est tout un patrimoine pĂ©dagogique et Ă©ducatif qui risque de disparaĂźtre.
Tribune
Un siĂšcle et demi dâhistoire ouvriĂšre, politique et/ou religieuse, un siĂšcle et demi de construction collective et militante, de patrimoine pĂ©dagogique et Ă©ducatif va disparaĂźtre. Les associations organisatrices de colonies de vacances vivent une crise majeure depuis plusieurs dĂ©cennies, la crise sanitaire pourrait ĂȘtre le coup de grĂące et cela malgrĂ© les dynamiques bĂ©nĂ©voles, locales ou solidaires des associations de jeunesse, du scoutisme ou de colos. Lâensemble des sĂ©jours de vacances est interdit depuis la mi-mars, aucune date de rĂ©ouverture nâest fixĂ©e. Les trĂ©soreries associatives sont au plus bas et sans grand espoir de les regonfler. Les organisations possibles permettant de respecter des rĂšgles de distanciation physique sont difficiles Ă respecter, les garanties «perte dâexploitation» des assurances ne fonctionnent pasâŠ
Les salarié·e·s des colos ont Ă©videmment accĂšs au chĂŽmage partiel, mais les organisateurs ont trĂšs difficilement accĂšs au prĂȘt bancaire en raison de la crise du secteur depuis de nombreuses annĂ©es. Si aucune aide directe nâest proposĂ©e Ă ces associations, bon nombre dâentre elles vont dĂ©poser leur bilan, licencier, rĂ©duire Ă nĂ©ant des annĂ©es de travail pour construire des colos durables pour demain. Ce sera la fin dâun siĂšcle et demi dâactivitĂ© essentielle pour lâĂ©ducation, pour lâĂ©mancipation, et la construction des citoyen.ne.s de demain. Un siĂšcle et demi dâinitiatives pour faire vivre Ă nos enfants et adolescent·e·s, dans le cadre de leurs loisirs, la devise rĂ©publicaine. De droite, de gauche, du centre croyant, agnostique, athĂ©e, ou sans rĂ©fĂ©rence idĂ©ologique prĂ©cise, les colos, les camps ont façonnĂ©, aidĂ© Ă grandir et permis lâĂ©mergence de militant·e·s politiques ou associatifs, dâacteur·e·s de la culture ou du sport. Combien de dĂ©puté·e·s, de sĂ©nateur·trice·s, dâancien·ne·s ministres ou dirigeant·e·s dâassociations ont fait leur parcours de formation en passant le Bafa, en Ă©tant scout·e·s, moniteur·trice·s ou directeur·trice·s de colo.
Penser et construire le monde de demain
FragilisĂ©es par trente ans de dĂ©rives marchandes, concurrentielles et une vision touristique, les sĂ©jours de vacances souffrent : le nombre dâenfants qui y sont accueillis baisse dâannĂ©e en annĂ©e, le sens des actions ou des projets sâĂ©tiolent, les politiques publiques de soutien sont inexistantes. Pourtant, des associations organisatrices de camps et de colos locales, fĂ©dĂ©rĂ©es ou non, travaillent et ont construit depuis plusieurs annĂ©es des sĂ©jours singuliers, aux pĂ©dagogies innovantes, tournĂ©es vers lâattention aux plus faibles, Ă notre planĂšte, encourageant les rencontres entre enfants Ă©loignĂ©s ou sĂ©parĂ©s, en imaginant des sĂ©jours inclusifs permettant aux enfants en situation de handicap dâaller en vacances, pour crĂ©er des mixitĂ©s, pour dĂ©velopper des solidaritĂ©s ou pour accompagner des familles fragiles.
Les associations organisatrices pensaient avant mĂȘme la crise dâaujourdâhui le monde de demain. Aujourdâhui, elles ont besoin de pouvoir vivre le jour J, pour construire le jour dâaprĂšs.
Le ministre souhaite organiser des colos «trÚs éducatives»
Il semble revenir Ă une idĂ©e qui date du Front populaire : les colos sont un outil de politique publique. Prenons le ministre au mot en nâoubliant pas que le ministre en charge des colos Ă lâĂ©poque, LĂ©o Lagrange, ne cherchait pas Ă financer une nouvelle forme de colo hors-sol. Il sâappuyait sur les organisations existantes, renforçait leurs moyens et Ă©tait Ă leur cĂŽtĂ© pour rendre les colos accessibles Ă tous. Car, câest en Ă©tant un laboratoire de lâĂ©ducation nouvelle – fondĂ© sur les mĂ©thodes dâĂ©ducation active, la coopĂ©ration et lâapprentissage de lâautonomie – que les colos sont Ă©ducatives, elles complĂštent ainsi lâĂ©cole en proposant dâautres formes de dĂ©couverte et dâapprentissage. Les «colonies Ă©ducatives» de Jean-Michel Blanquer ne peuvent et ne doivent donc en aucun cas dĂ©tourner les colos de ce quâelles sont : une autre forme dâapprentissage nĂ©cessaire dans le parcours des enfants, aussi nĂ©cessaire que lâĂ©cole ou lâĂ©ducation parentale.
Vouloir inventer dans cette pĂ©riode de crise, une forme de sĂ©jour aux antipodes de lâhistoire et tournant le dos aux idĂ©es fondatrices des colos, ce serait de lâabus de faiblesse, ce serait signer lâavis de dĂ©cĂšs dâun siĂšcle et demi de pensĂ©es et dâactions sociales.
Les actions et les recherches que nous faisons depuis de nombreuses annĂ©es pour construire des colos pour demain montrent que dans les territoires dâimplantation, il est possible de construire des Ă©cosystĂšmes responsables et durables autour des colos, il est possible de crĂ©er du lien entre urbains et ruraux, il est possible de rapprocher les enfants des villes de la terre qui leur manque et les enfants des campagnes des villes quâils ne connaissent guĂšre, il est possible de former et de permettre Ă chaque jeune de prendre des responsabilitĂ©s, il est possible de construire une attention aux plus fragiles, dĂ©veloppant engagement et solidaritĂ©.
Les colos, outils puissants Ă financer
Les colos sont et restent une magnifique Ă©cole de prĂ©-formation aux mĂ©tiers du care si nĂ©cessaire aujourdâhui et de tout temps. Les colos sont un incroyable outil de dĂ©veloppement de territoire et dâĂ©conomie circulaire. Elles permettent pour beaucoup dâenfants dâaccĂ©der Ă la culture et de dĂ©couvrir les patrimoines. Elles forment Ă lâengagement. Les colos pourraient ĂȘtre des lieux dâexpĂ©rimentation au prĂ©sent pour les jours dâaprĂšs, vers un monde plus durable. Cela reste possible si et seulement si les associations organisatrices passent lâĂ©tĂ© sans disparaĂźtre, si le gouvernement dĂ©cide dâune aide dâurgence qui deviendra une politique publique spĂ©cifique aux colos.
Signataires :
- Olivier Abel, Professeur de philosophie et dâĂ©thique Ă la facultĂ© protestante de Montpellier
- Magalie Bacou, Docteure en sociologie, Chercheure
- Sonia Basset, Présidente du MRJC
- Jean-Marie Bataille, Laboratoire EXPERICE, Université Sorbonne Paris Nord
- Christophe Blanchard, MaĂźtre de confĂ©rences â Laboratoire EXPERICE, UniversitĂ© Sorbonne Paris Nord
- Jean-Michel Bocquet, pédagogue, chargé de cours à Paris 13 et ISP, membre du collectif Camps Colos
- Eric Carton, PrĂ©sident de lâassociation «Le MusĂ©e de la Colo»
- Jean-Luc Cazaillon – directeur gĂ©nĂ©ral des CEMĂA
- Suzanne Chevrel, prĂ©sidente des Ăclaireuses et Ăclaireurs Unionistes de France
- Alain Cornec, Avocat
- VĂ©ronique Decker, directrice dâĂ©cole retraitĂ©e, militante pĂ©dagogique et syndicale.Â
- Bernard Defrance, philosophe
- Jean-Paul Delahaye, ancien haut fonctionnaire de lâĂ©ducation nationale et ancien moniteur et directeur de colonies de vacances
- Cyril Dheilly, pĂ©dagogue, Docteur en sciences de lâĂ©ducation CIRNEF, membre du collectif Camps Colos
- Catherine Dolto, haptothérapeute
- Laura Lee Downs, Directrice dâĂ©tudes de lâEHESS
- Carla Dugault & Rodrigo Arenas, co-président.e de la FCPE
- Colette Duquesne, Présidente DEI-France
- Eric Favey, prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration de lâIsĂšre de la Ligue de lâenseignement
- Jean Houssaye, Professeur Ă©mĂ©rite en Sciences de lâĂ©ducation Ă lâUniversitĂ© de Rouen
- Martine Janner Raimondi, professeure des universitĂ©s en Sciences de lâEducation Ă l’ UniversitĂ© Sorbonne Paris Nord
- Aude Kerivel, Chercheure associĂ©e au laboratoire VIPS2 – UniversitĂ© Rennes-Le Mans
- Jean-Louis Laville, professeur titulaire de la Chaire Economie solidaire au Conservatoire des arts et métiers
- Claire Leconte, Professeur honoraire de psychologie de lâĂ©ducation
- Philippe Meirieu, Professeur Ă©mĂ©rite en sciences de lâĂ©ducation Ă lâuniversitĂ© Lyon 2
- Julien de Miribel, maĂźtre de confĂ©rences en sciences de lâĂ©ducation et de la formation Ă lâUniversitĂ© de Lille
- Laurent Ott, Philosophe social, Centre social  Intermedes-Robinson
- Thierry Paquot, Philosophe, professeur Ă©mĂ©rite Ă lâInstitut dâurbanisme de Paris
- Yves Raibaud, Géographe, Université Bordeaux Montaigne
- Jean-Pierre Rosenczveig, Ancien président du TE de Bobigny
combaud
17 novembre 2020 — 08:11
meme les colonies ont changĂ© ! pour attirer du public il faut avancer des activitĂ©s avec prestataires. fini la colo ou il est mis en avant uniquement le plaisir de faire, de dĂ©couvrir, d’apprĂ©hender de nouveaux savoir faire.
des colos trop courtes qui ne permettent pas ou peu, le changement, la rĂ©flexion du ou de la jeune. j’ai Ă©tĂ© directrice de colos, les durĂ©es se sont raccourcies, les temps d’apprentissages Ă la vie collective se sont eux, accĂ©lĂ©rĂ©s. quels temps restent ils pour accompagner le ou la jeune, l’amener Ă vivre en collectif, Ă rĂ©flĂ©chir sur ce qu’il fait, Ă expĂ©rimenter… ?
Parent.e.s accepteriez vous de laisser vos jeunes d’une dizaine d’annĂ©es partir deux ou trois semaines en colo ? les jeunes l’accepteraient il.le.s ? Comment redonner cet envie de dĂ©couvrir, d’autres jeunes, d’autres lieux, d’autres activitĂ©s, qui ne font pas parti.e.s de tes rĂ©seaux sociaux ?