Vendredi 13 mars, il est environ 14h, on revient de la visite du site de Sacsayhuaman.
On décide de s’arrêter dans un petit resto manger un falafel car on à faim.
On demande la wifi et là … les messages fusent, les familles et Ariane
(plate-forme gouvernementale d’information diplomatique : https://pastel.diplomatie.gouv.fr/f… ) nous apprenons que le Pérou fermera les frontières d’ici à 72h. Que
les ressortissant·e·s Européen·ne·s, si il·le·s ne veulent pas rester au
Pérou pour une durée indéterminée, doivent organiser leurs rapatriement
en urgence.
Cela faisait déjà quelques jours que les médias péruviens affichait l’ennemi Corona Virus sur les couvertures des journaux dans les kiosques. Quelques jours que nos téléphones portables nous envoyaient des notifications toujours plus alarmantes sur le Virus. Nous avions la tête dans le voyage, la tête dans les montagnes et à nos retours de trek on était déconnecté du monde loin de tout ça … Mais là, d’un seul coup, la réalité nous rattrape, elle fait accélérer le temps, tout devient urgent.
D’un seul coup on réalise que les enfants nous esquivent, que l’on
provoque de la méfiance, du rejet, dans le regard des locaux. Lorsque
l’on est française, blanche, on ne sait pas ce que c’est. Provoquer la
curiosité ça m’était déjà arrivé dans les montagnes au Burundi par
exemple mais là c’est différent.
Je me met à repenser au début du Corona Virus. Les Asiatiques vivant en
France qui témoignaient, se justifiant d’avoir été adoptés, de vivre en
France depuis des dizaine d’années, demandant aux gens de ne pas les
stigmatiser et de ne pas les associer au Virus. Là j’avais juste envie
de porter un T-Shirt stipulant : je suis ici depuis 3 semaines, pas
d’inquiétudes. Normalement les touristes ici il·le·s sont convoité·e·s
mais là c’est différent. La tension est dans l’air les gens passent
leurs temps à se laver les mains, à mettre du gel hydro-alcoolique, à
porter des masques.
On est comme projeté dans un monde parallèle, sauf que c’est nous qui étions dans un monde parallèle avec le voyage et là c’est le retour à la réalité. Au passage j’ai mes ami·e·s italien·ne·s au téléphone, je m’inquiète de leur situation et à juste titre. Il·le·s sont confiné·e·s depuis plusieurs jours, le nord étant particulièrement touché. Au départ je dédramatise, je leur dit : « ça va c’est une grosse grippe », je me fait calmer immédiatement. Ils ne voient pas les choses sous cette angle, chez eux les gens sont hospitalisés, des vielleux, des jeunes, des personnes en bonne ou en mauvaise santé. Ils trouvent que la France banalise et ne prend pas suffisamment de précaution, il·le·s me disent que maintenir les élections dans un tel contexte est irresponsable … Mon regard change et donc on décide de regarder la situation en face.
Alors on fait face, la voilà la réalité : Ambassades et consulats de France fermés, ouverture lundi (bah oui c’est le week-end) Air France notre compagnie de retour (prévu le 21 mars) saturée, nous recevons un mail qui nous dit que notre vol est annulé et qu’il reviendrons vers nous, que nous pouvons effectuer une modification de notre billet via internet. Nous essayons, les vols sont saturés. Nos familles respectives sont sur le pied de guerre, ils cherchent des billets d’avions pour rentrer à temps. On en trouve à 3000€, voir pire.
Nous sommes sur le facebook des français au Pérou et les messages
fusent : Français·e·s, Suisses, Belges, Canadien·ne·s, dans l’hôtel des
Anglais·e·s, en bref tout les « Gringos » du Pérou cherchent à fuir.
Nous trouvons des billets d’avion sur lastminute, à 1400€ pour deux. On
reçoit une confirmation d’achat mais pas nos billets. On essaye de se
rassurer mais le temps passe et toujours pas de billets. Sur les réseaux
les gens disent qu’ils sont dans la même situation, achats de billets
mais pas reçu. Du coup on continue nos recherches, le lendemain on
trouve un billet avec une escale à Miami, étant donné que nous étions
aux États-Unis en août, nos ESTA (Visa touristes pour les EUA) sont
encore valables, il nous est donc permis, à priori, de transiter par les
EUA. Nous vérifions auprès d’Américan Airline, ils nous disent que si
nous avons nos visas du Pérou et nos billets pouvant prouver que nous
n’étions ni en Asie ni dans l’espace Schengen les 14 derniers jours il
nous sera permis de transiter. Vu que je tiens un carnet de voyage je
garde tout donc on à des preuves. Nous achetons les billets : 1600€ pour
deux. Et nous courrons à l’aéroport de Cusco pour prendre le premier
vol pour Lima (300€ pour deux).
Il est 16h30 lorsque nous arrivons à Lima, on trouve un hôtel à 1 km
de l’aéroport car le vol pour Miami est demain à 7h donc nous devons
être à 4h à l’aéroport.
Dans la nuit, vers 2h du matin, je ne dors pas, je reçois un message
d’un autre couple de français·e·s qui à pris le même vol, dans les mêmes
conditions que nous. Il·le·s me disent qu’il·le·s ont reçu un mail de
la compagnie aérienne qui annonce que leurs ESTA à été annulé par les
EUA et qu’ils ne peuvent pas les laisser embarquer.
Je vérifie nos boites mail, RAS.
Le lendemain, pas franchement rassuré nous nous présentons pour
l’embarquement. On nous laisse passer les différents points de contrôle,
faire l’enregistrement etc … Au moment d’embraquer on m’appelle au
micro, je stresse, il·le·s vérifient mes visas et finalement me laissent
passer. Nous voilà dans l’avion pour Miami. Une fois là bas, la machine
qui contrôle automatiquement les passeports refuse de me donner le
laisser passer. Obligée d’aller au poste de contrôle. Là on interroge
pourquoi je suis là, d’où je viens, où je vais, je passe le test et nous
voilà enfin dans l’avion pour Paris.
Une fois à Paris, on nous annonce l’arrivé du confinement. Nous avions à
la base des billets pour rentrer à Nantes mercredi (des ouigo pas
cher). Finalement on prend le premier train pour Nantes (130 € à deux)
et effectivement dans le train, le président annonce le confinement dès
le lendemain matin.
Une fin de voyage pour le moins inattendue. Cela soulève bien des questions.
On observe que la tendance peut s’inverser du jour au lendemain. Les
français·e·s et globalement les Européen·ne·s souvent bien accueilli·e·s
à l’étranger, notamment dans les pays touristiques ont vu les portes se
fermer à leurs nez et ça fait bizarre lorsque l’on à pas l’habitude.
Des italien·ne·s refusés à la frontière Tunisienne, des français·e·s
chassé·e·s du Pérou, c’est le revers de la médaille, les pays essayent
de se protéger d’un danger qui pour eux vient de l’Europe, un virus
transporté par les Gringos. Comment les blâmer ? Ils n’ont pas les mêmes
moyens que la Chine ou l’Europe pour lutter contre cette épidémie.
La politique Européenne face aux personnes qui cherchent à se mettre en
sécurité pour des problématiques diverses est-elle un accueil
inconditionnel ? Non évidement un tri est fait, et pas des moindre.
Alors oui lorsque la tendance s’inverse ça fait bizarre. Je pense aussi à
ceux et celles qui étaient encore perché·e·s dans les montagnes et qui
en redescendant ont appris qu’il·le·s ne pouvait plus quitter le Pérou.
Je pense à ceux et celles qui n’avaient pas les moyens financiers ou un
soutien de leurs proches pour les aider à rentrer et donc qui sont
encore là bas.
Je pense à celles et ceux qui sont arrivé·e·s et qui ont eu l’obligation
de rester en 40 aine 14 jours dans une chambre d’hôtel.
Mon aventure n’est qu’une petite péripétie, on est rentrée, on va bien,
c’est pas le cas pour tout le monde. C’est étrange de voir les
frontières se fermer ici en Europe, là bas en Amérique Latine, on se
rend compte que le monde n’est pas si « ouvert » que chaque pays, à
l’image des personnes qui y vivent se renferme sur lui même face au
danger. La solidarité, l’entre-aide, l’autre … disparaît pour ne
penser plus qu’a soi. C’est comme un film, sauf que c’est la vraie vie,
c’est sûrement pas la fin du monde mais on voie comment on perd toute
notion d’humanité juste pour du PQ.
Vous allez peut être me dire mais pourquoi tu n’es pas restée là bas ?
C’est une bonne question et je vous répondrais pour deux raisons.
La première je ne suis pas couverte au niveau médical au Pérou, je suis
asthmatique et pour avoir vécu à l’étranger à deux moments de ma vie,
j’ai pu comparé les systèmes de soin et je me sent plus en sécurité, en
cas de besoin, à être prise en charge en France où je suis couverte.
La deuxième raison, je ne supportais pas l’idée d’être loin des gens qui
compte pour moi dans cette situation, ma place est auprès de mes
proches : ami·e·s, famille, réseaux …
Prenez soin de vous, prenez des nouvelles des autres, hâte de tous et toutes vous revoir.
Nina
Tarquini
27 mars 2020 — 08:30
Très touchant Nina!!