Déjà, à quoi il sert, ce gel ?

On utilise du SHA (Solution HydroAlcoolique) pour se désinfecter les mains lorsque l’on ne peut pas les laver à l’eau et au savon. Il est à noté qu’il n’est pas plus efficace qu’un lavage de mains correctement réalisé, à l’eau et au savon, pendant au moins 30 secondes. (1)

Le SHA, pour être efficace, doit être utilisé sur des mains d’apparence propres. Il s’agit d’une désinfection et non d’un lavage à proprement parler car en réalité le SHA ne doit être utilisé uniquement si les mains sont d’apparence propres (cad sans souillures apparentes : morves par exemple pour le cas du coronavirus). On ne se débarrasse pas de ce qu’on a sur les mains avec du SHA, on tue les bactéries, virus et champignons.

Le SHA comme le lavage de main doit se faire suivant un protocole bien précis (https://www.who.int/gpsc/tools/comm… pour le lavage des mains, https://www.secourisme.net/IMG/pdf/… pour le SHA) ne pas oublier les espaces interdigitaux ou les poignets, avoir des ongles courts, sinon l’efficacité est remise en question. Il existe en réalité différents types de lavage de mains en milieu hospitalier, si l’on veut aller plus loin : https://guide-ide.com/le-lavage-des…

Le SHA peut trouver son utilité dans notre usage lorsque l’on sort d’un magasin ou des transports en commun.

Plusieurs recettes circulent (notamment aux CEMÉA). Essayons de faire le point dessus.

La recette de l’OMS

L’une est celle de l’OMS (2). Elle nécessite notamment l’emploi d’éthanol 96% et de peroxyde d’hydrogène.

Il est non seulement compliqué de se procurer les produits (on ne trouve pas d’alcool à 90 % en vente libre en France), mais en plus, leur manipulation peut se révéler dangereuse. Les vapeurs d’ethanol aussi concentrées sont fortement inflammables voire explosives.

De plus, L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) prévient que « le peroxyde d’hydrogène est un oxydant puissant ». Sa réaction peut donc « être violente (combustion spontanée, détonation) avec certains produits organiques (acétone, acétaldéhyde, acide formique, alcools). Les solutions concentrées de peroxyde d’hydrogène constituent des mélanges explosifs aussi avec des matières organiques (huiles, graisse, kérosène). Elles peuvent provoquer l’inflammation spontanée de matériaux tels que bois, paille, coton » (3)

Pour ces différentes raisons, cette recette est destinée à la production de SHA par les pharmacies (un arrêté ministériel les autorise à en produire (4) ), elle n’est pas destinée aux particuliers.

La recette artisanale

Une seconde recette circule : Elle consiste en l’emploi de gel d’Aloe Vera, d’huile essentielle de Tea Tree, d’huile essentielle de Lavande, d’huile végétale, et d’alcool à 70 %. Elle a été largement diffusée, notamment aux CEMÉA.

Cette recette pose plusieurs problèmes :

  • Sa concentration finale en Alcool est autour de 15 %, là ou celle du SHA est normalement de 70 % !
  • Si les huiles essentielles de lavande et de tea tree semblent avoir une application anti bactérienne et anti fongique selon les cas, elles ne sont pas connues pour leurs propriétés virucides, encore moins sur les coronavirus (5)
  • Rien ne semble justifier l’utilisation de gel d’Aloé Vera (6). C’est un bon hydratant des couches supérieures de la peau, mais ce n’est pas un virucide, et c’est un plutôt mauvais support d’huiles essentielles. Des pharmaciens témoigne également que ça ne sert à rien dans ce cas.
  • Enfin, cette recette n’a fait l’objet d’aucune étude, d’aucune évaluation scientifique quand à son efficacité pour lutter contre un virus. Alors que le lavage des mains prolongé à l’eau et au savon, avec rinçage abondant, oui.

Il est difficile d’affirmer de façon catégorique que cette recette est totalement inutile, contre-productive, mais à tout le moins, elle ne nous semble pas, dans le contexte, apporter les garanties suffisante à son utilisation. Sa faible concentration en alcool est un indicateur fort de son efficacité insuffisante.

Mais alors, le savon tue le virus ?

On connaît encore assez mal ce à quoi résiste ou ne résiste pas SARS-CoV2. Des études sont en cours, certaines ont été publiées et sont en cours d’évaluation par les pairs, des suppositions sont faites sur la base de ce qu’on connaît des autres coronavirus, mais il faut bien retenir que l’on est encore qu’au début de la connaissance de ce virus.

En revanche : un lavage des mains efficace n’a pas pour but de tuer le virus, mais de le faire disparaître de la surface de vos mains par action mécanique. D’où l’importance d’un rinçage rigoureux. On notera que des chirurgien.nes, avant d’aller au bloc, n’utilisent pas forcément du SHA mais peuvent privilégier un lavage des mains au savon.

En complément, on peut lire cet article : https://www.neonmag.fr/covid-non-to…

Sources :
(1) Pourquoi il ne faut pas se laver les mains toute la journée au SHA (Ouest france) https://www.ouest-france.fr/leditio…

(2) Le Guide de l’OMS pour la fabrication de SHA, destiné aux professionnel.les de santé et aux pharmacies https://www.who.int/gpsc/5may/tools…

(3) https://www.ouest-france.fr/leditio…

(4) arrêté ministériel autorisant la production de SHA en pharmacie https://www.legifrance.gouv.fr/affi…

(5) Wikipedia, Tea tree https://fr.wikipedia.org/wiki/Huile…

(6) Wikipedia, Aloe Vera https://fr.wikipedia.org/wiki/Aloe_…;alo%C3%A8s

Comment et pourquoi cet article ?

(ou comment je m’y suis pris pour enquêter sur une info douteuse).
Alias, la partie la plus intéressante de l’article

Je reçois la recette de SHA à l’aloe vera et aux huiles essentielles de la part de quelqu’un en qui j’ai plutôt confiance quand à sa rigueur, son esprit critique.
En même temps, deux doutes me restent :

  • cette personne a déjà relayé des trucs faux sans vérifier
  • cette recette est très différente de celle de l’OMS, et nettement moins compliquée. Pourquoi l’OMS se fait-elle suer, dans ce cas ?

Bref, j’appelle mon frangin, qui est infirmier et lui demande son avis. On regarde la recette, on calcule rapidement que le taux d’alcool est très nettement inférieur au SHA. Il en conclue à du bullshit, en tout cas déconseille et m’explique l’action mécanique du lavage de mains à l’eau et au savon. Je transmets ces infos aux copin.es qui voulaient en faire. Je lui parle de ce que j’ai entendu que les pharmacies étaient autorisées à produire du SHA selon la recette de l’OMS, il s’étonne et me dit que vu les risques d’explosions, la difficulté de manipuler en grande quantité ces produits, ce doit être réservé aux pharmacies centrales des hôpitaux.
Je passe à la pharmacie du coin, et je vois qu’illes produisent du SHA « OMS ». Ah. Oups. Mon frangin s’est planté sur au moins une des infos. Je leur demande ce qu’illes pensent de la recette à l’aloe vera, la préparatrice me dit qu’illes en produisent aussi, et que probablement que l’action du tea tree, de la lavande et de l’aloe vera est efficace… Re-oups. Qui croire ?…

C’est parti pour quelques heures sur les internet. J’essaie de m’exposer à des infos contradictoires, pas seulement à celles qui conforte ce que j’ai envie de penser. Je trouve assez vite de quoi conforter les infos que mon frangin m’avait donné quand à la difficulté de fabriquer soi même la recette de l’OMS. Je trouve l’arrêté qui autorise les pharmacies à produire du SHA « OMS ».
Les sources que je trouve qui critiquent la recette artisanales me semblent globalement mieux sourcées et mieux argumentées. Les sites qui la proposent n’explique pas en quoi elle est efficace. Je trouve également des choses assez détaillées sur l’étude de l’efficacité du lavage de mains prolongé savon+eau+rinçage, et sur l’efficacité du SHA, le vrai.
Je regarde ingrédient par ingrédient, sur wikipedia, sur des sites d’huiles essentielles, et sur des articles scientifiques précédent l’épidémie, ce qui pourrait jouer dans les principes actifs de cette recette douteuse, et ne trouve (avec mes maigres connaissances) pas vraiment de raisons de conclure à l’effet prétendu.

Dès lors, une question me vient : pourquoi produire soit même ce truc douteux, alors que le lavage des mains est efficace, et que si je ne dispose pas d’eau et de savon, les pharmacies produisent elles-mêmes du SHA aux normes, et qu’on a l’air d’être sorti de la pénurie pour le moment ?
Je me dit qu’éventuellement, cela peut être utiles aux personnes ne pouvant pas se procurer du SHA en pharmacie, parce que trop cher ? Seulement, les ingrédients présents dans la recette artisanales ne sont pas donnés non plus… Je ne suis pas sûr que ce soit valable, même de ce point de vue.
Enfin, je soumet à relecture cet article aux trois personnes qui ont une formation de soignantes que je connais en leur demandant d’être le plus critique possible, ainsi qu’aux personnes de la liste du groupe zététiques, pour avoir des retours sur la clarté, la méthode, des éventuelles erreurs de raisonnements, et une vérifications des sources.

Les retours ont amené à des précisions, des modifications, des ajouts de sources.